Vous êtes-vous déjà fait dire que vous ressembliez beaucoup à un de vos parents ? Même si nos deux parents nous transmettent leurs gènes, certains d’entre eux vous sont légués de façon beaucoup plus subtile.
L’être humain possède 46 chromosomes arrangés en 22 paires identiques, plus deux chromosomes qui déterminent le sexe (XX pour les femmes, XY pour les hommes). Ces chromosomes sont composés d’ADN, sur lequel sont codés l’ensemble des gènes. Les chromosomes allant par paire, on peut dire que le génome humain est en quelque sorte dupliqué, puisque chaque gène est présent en deux copies.
Lors de la fécondation le spermatozoïde apporte une copie de chacun de ces gènes, c’est à dire 23 chromosomes à l’ovule qui contient les 23 autres. Ces deux demi-génomes se réarrangent ensuite pour former le patrimoine génétique complet du futur individu qui reçoit donc 50% des gènes de chacun de ses parents biologiques. Mais ces deux demi-génomes sont-ils pour autant égaux ? Contribuent-ils de la même façon au développement de l’individu ?
Dans les années 70, des chercheurs ont fabriqué des embryons de souris en utilisant deux demi-génomes issus de deux spermatozoïdes introduits dans un ovule débarrassé de son propre ADN. Les embryons ainsi créés à partir de matériel génétique 100% mâle n’ont jamais pu se développer. Les chercheurs ont alors tenté l’expérience inverse : créer un embryon à base de matériel génétique 100% femelle en introduisant un demi-génome d’ovule dans un autre ovule. Même constat, les embryons ne se développent pas correctement et meurent. Cela signifie que les demi-génomes maternels et paternels ont chacun un petit quelque chose de différent et d’indispensable au développement d’un individu en bonne santé.
En fait, c’est simple : certains gènes ne sont transmis que par la mère, et d’autres, uniquement par le père. Pourtant, comme dit plus haut, chacun des demi-génomes contenu dans l’ovule ou le spermatozoïde représente un set complet de tous les gènes humains. Il existe donc un mécanisme par lequel pour un gène donné, l’exemplaire fournit par un des deux parents est rendu silencieux. On appelle cela l’empreinte parentale.
Imaginez que l’ADN est comme un mode d’emploi, un livre de référence qui indique comment faire fonctionner toutes les cellules du corps. Toutes cellules possèdent le même ADN, le même livre. Mais pour autant, tous les chapitres ne les intéressent pas. En effet, une cellule de muscle est différente d’un neurone, et elle doit pouvoir choisir uniquement les chapitres du livre pertinents pour remplir sa fonction. Pour s’y retrouver, la cellule place sur l’ADN des sortes de marque-pages moléculaire, que l’on nomme marques épigénétiques. Leur rôle est, entre autres, de compacter les portions d’ADN dont la cellule n’a pas besoin, et au contraire, de rendre accessible les parties intéressantes. C’est par ce mécanisme de marques épigénétiques et de compaction de l’ADN qu’une des copies parentales d’un gène peut être rendu silencieuse.
Sur les quelques 30 000 gènes exprimés chez l’humain, seuls une centaine sont soumis à l’empreinte parentale et donc exprimés par le génome transmis par un seul des parents. Ces gènes sont impliqués dans des mécanismes cruciaux pour le développement de l’individu.
Cet étonnant mécanisme n’a été retrouvé que chez certains mammifères dont l’humain, et sa raison d’être est encore mystérieuse. Une des hypothèses les plus discutées est que les gènes dont seule la copie paternelle s’expriment favorisent la croissance d’une progéniture plus forte. En effet, si l’on pense à des espèces où plusieurs mâles peuvent s’accoupler avec une même femelle, chacun d’entre eux a intérêt à ce que SA progéniture soit la plus forte et soit celle qui transmette le patrimoine génétique à la génération suivante. Au contraire, les femelles mammifères étant celles qui supportent le développement de la progéniture en leur sein, la volonté est plutôt à l’économie des ressources pour assurer la survie des petits et de la mère. Les gènes dont la copie maternelle s’expriment supportent donc un développement plus raisonnable. Ainsi, l’équilibre de l’expression paternelle et maternelle de certains gènes permettrait le développement d’une descendance juste assez forte pour survivre sans épuiser les ressources maternelles.
Une sorte de guerre des sexes au niveau génétique, donc !
Références : McGrath, J., & Solter, D. (1984). Completion of mouse embryogenesis requires both the maternal and paternal genomes. Cell, 37(1), 179-183.
Surani, M. A. H., Barton, S. C., & Norris, M. L. (1984). Development of reconstituted mouse eggs suggests imprinting of the genome during gametogenesis. Nature, 308(5959), 548-550.
Moore, T., & Haig, D. (1991). Genomic imprinting in mammalian development: a parental tug-of-war. Trends in genetics, 7(2), 45-49.
Edwards, C. A., Takahashi, N., Corish, J. A., & Ferguson-Smith, A. C. (2019). The origins of genomic imprinting in mammals. Reproduction, Fertility and Development, 31(7), 1203-1218.
Barlow, D. P., & Bartolomei, M. S. (2014). Genomic imprinting in mammals. Cold Spring Harbor perspectives in biology, 6(2), a018382.
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